Je vous conseille vivement d'aller voir La question humaine, film de Nicolas Klotz avec Mathieu Amalric et Michael Lonsdale. L'enjeu principal du film est la critique de la rationalité technicienne à l'oeuvre dans le libéralisme. Elle passe par une dénonciation de la déshumanisation du langage et des pratiques dans les sociétés industrialisées, dénonciation qui est prise en charge thématiquement, dans le film, par une analogie entre la Shoa et le monde de l'entreprise, qui révèle non pas une similarité entre ces deux univers (ce qui serait à la limite du relativisme), mais une parenté, une trame commune, celle de la Raison technique : l'analogie est ici utilisée comme méthode de déconstruction du langage et des pratiques afin de montrer le retour, toujours possible, de l'inhumain derrière la face policée des normes de rentabilité, d'efficacité, de rationalité. On retrouve dans ce film les thèmes de l'Ecole de Francfort (Marcuse, Adorno, Habermas, Benjamin, etc.) : il s'agit en effet d'une thèse philosophique mise en scène au sein d'une fiction. Pour autant le film n'est jamais ennuyeux, dans la mesure où la narration prend la forme d'une enquête à suspens que mène le héro (Amalric, qui joue un psychologue d'entreprise qui mène des "restructurations" et gère des recrutements et des licenciements). Autre aspect intéressant du film, la réflexion sur la musique vue comme une forme de "langage" contradictoire qui peut révéler, tout comme le langage courant, la porosité de nos sociétés à la technicisation et à la déshumanisation, mais qui peut également exprimer et faire ressentir l'émotion de ce qui ne s'inscrit pas dans la barbarie technicienne. Là où vous serez peut-être en désaccord, un peu comme moi, c'est dans l'illustration du pôle "techno-barbare" de la musique : c'est la techno qui sert ce pôle (on y retrouve mas i mas, qui ont apparemment servi de conseillers pour les scènes de rave parties, où les cadres de l'entreprise vont se défouler et exprimer leur agressivité). C'est oublier un peu vite que dès son origine, à Detroit comme en Belgique dans les années 80, les premiers DJ et lives techno menaient une réflexion critique sur la technique dans les environnements industriels qui étaient les leurs : la techno était alors pensée comme une caricature (via la sérialité et la répétitivité) de la société industrielle, et non comme une adhésion pure et simple à ses principes.
En tout cas, par les questions philosophiques et politiques qu'il soulève et par l'esthétique qu'il développe, ce film envoutant me paraît être un film important.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 813,0.html
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 753,0.html
http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=2802
