La Présidictature envahit le Chili et la Bolivie

Tout ce qui concerne les voyages, la connaissance de pays ou de cultures étrangères à la notre. Pour s'évader de la France...

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drÖne
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Message par drÖne »

Hop, nous voilà rentrés en France, après un mois de campagne victorieuse dans les Andes ! Et on n'a même pas eu besoin de coucher dans un hôtel de l'Oncle Sam puisqu'Air France nous a finalement évité une nuit à Miami, dont nous n'aurons vu que l'aeroport, peuplé d'obèses incultes (pas un seul magasine ni journal non édité aux USA dans tout l'aéroport international de Miami...) et paranoïaques (ah ! la fouille des chaussures et le scanner à l'aéroport de Miami ! Et le ton pas cool des douaniers : mieux qu'en Drönésie, leurs mesures de sécurité !) ! C'est fou le nombre d'obèses qu'il y a chez ces cons de ricains : la réalité dépasse les clichés. Comment se fait-il que notre planète soit aujourd'hui asservie par une civilisation d'obèses incultes et paranoïaques, telle est la question philosophico-politique qu'il nous importe de poser, au terme de notre périple. Mais laissez moi digérer ma pizza et mon coca avant que LLb et moi ne vous concotions un report dans les règles...

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LLB
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Message par LLB »

Allez je craque, puisqu'on commence nos reports par le croustillant et les potins....Drone je vais mettre en relation le cliché aguichant dont tu nous régales avec une circonstance de notre voyage que nous aurions pu vous cacher, mais que les principes bien dronésiens de Transparence et de Vérité nous commandent de révéler.
Voilà les faits : nous revêtu des maillots de bain, maillots de location fort vastes, fort usés et de coupe fort maladroite, pour aller dans une piscine.

Le costume de bain du présidictateur étant vert printemps. Je choisis de mon côté un modèle en nylon gaufré imprimé à fleurs violettes avec des feuilles d'un ton vert proche de celui du maillot présidictatorial, pour tenter de sauver un semblant d'harmonie, la manoeuvre étant cependant risquée. On aurait dit que ces maillots avaient été récupérés auprès de ces américaines de Miami, colis de bienfaisance.
Dans l'eau c'était pire, mais c'était dans l'eau. Ensuite, il fallait sortir de l'eau. Il n'existera aucune archive de ce moment - je ne pense pas que des paparazzi aient pu nous suivre jusque là, nous les aurions aperçus en route.
Pourquoi.
Pourquoi avons-nous enduré cela?
Parce qu'il le fallait, les circonstances exigent parfois des gestes forts, et là, nous étions avec une personne qui nous avait fait la surprise de nous emmener dans cette piscine d'eau thermale fameuse, d'un village montagnard après deux jours de marche roots de roots, il était diplomatiquement impossible de refuser cette invitation au délassement et à l'insouciance rieuse.
De fait, soyons francs, après deux jours de marche éprouvante, quand nous sommes entrés au contact de l'eau bouillante de la piscine tout droit sortie d'un volcan, la magie a opéré, délassant, et tout était beau et agréable même le vieux nylon imprimés les fleurs, même le vert, aaaaaaah rien que d'y repenser.
Le Lion Bleuflorophage
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drÖne
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Message par drÖne »

Ah, quel malheur qu'aucune photo ne soit venu immortaliser cette scène ! Tous les dictateurs du monde, ainsi que leurs ministres, ont droit à leurs petits moments de relâchement vestimentaire après tout : ces moments, par contraste, font apparaître leur profonde humanité et leur permettent de tisser des liens d'une touchante intimité avec leur peuple.
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chris
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Message par chris »

Allez ....bas les masques ! en fait vous êtes partis un mois en thalasso ! J'espère que vous avez gardé vos jolis costumes de bain gauffrés et que que celà sera ta tenue de scéne samedi ,Drone ........
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LLB
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Message par LLB »

Voilà où mène l'honnêteté : au soupçon sarcastique. Chris si tu continues, on ressort le bonnet manu chao tant promis, tu nous accompagnes, on fait soirée costumes bain bonnets marron violet.
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chris
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Message par chris »

Nan nan , j'en veux pô de votre bonnet Bolivien ...je sens qu'il va gratter...et ça peut pas dutout coller avec l'ambiance si délicieusement suave et moelleuse de Saycet qui va ouvrir la soirée !
Vivement samedi : 3 univers sonores complètement différents et tous de qualité !
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drÖne
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Message par drÖne »

Bon, peut-être est-il temps de commencer les reports, tant que c'est encore chaud. Je vais mettre quelques réflexions mais j'espère bien que LLb suivra. Pour les photos, faudra attendre qu'elles soeint triées et mises en ligne : y'en a moins que l'an dernier, mais tout de même un sacré paquet (dans les 500 je crois).

Quelques indications factuelles, pour commencer, avant d'aller plus loin. Et même une carte, pour suivre, bande de faignasses, faut tout que je fasse ici !

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On a débarqué à Santiago du Chili où nous attendait Gabriel Salinas et sa compagne Janina : Gabriel est un ami de LLB, et je la laisserai donc parler de ce délicieux personnage et de sa vie tumultueuse. Toujours est-il qu'on a fait la tournée des bodegas chiliennes du coin, goûté de fort bons vins, énormément tchatché politique et d'autres sujets aussi, qu'on a été manger LE meilleur poisson de mer du monde qui ne se mange qu'à Quintay (un petit port de pêche sur le Pacifique que j'avais déjà testé l'an dernier : on ne mange de bons poissons que là bas... bon, c'est sur, ça fait cher le poisson...).

Ensuite, étape de 3 jours à Valparaiso chez Consuelo que j'avais rencontrée l'an dernier et qui est en collocation avec une bande de jeunes étudiants buveurs et bavards... Ville toujours aussi géniale. Mais pas facile de dormir le soir chez eux, ha la la ces djeunz ! Ou alors c'est nous qui ne suivons plus le rythme ?

Ensuite, les choses "sérieuses" commencent : on prend des bus vers le nord, deux longues étapes (Antofagasta puis Arica), interminables, à traverser le desert le plus aride du monde qui n'est pas le sahara, non, ah que neni ! C'est le désert de l'Atacama au chili, une terrifiante étendue minérale avec rien entre les minéraux, à part des villes champignons industrielles (mines de cuivre dantesques et rougeoyantes sous le soleil de plomb, villes poussierreuses, zéro culture, pas de végétation, difficile de comprendre comment les gens vivent là : la mine, quoi...).

Arrivée à Arica, à la frontière du Pérou, on loue un pick up pour visiter les parcs naturels du coin : Lauca et le parc des Vicuñas, qui jouxtent la frontière bolivienne. 400 km de piste, et des paysages fabuleux : salars, volcans enneigés, vigognes, silence, paix, bordel que ça fait du bien !

De là on va à La Paz, la capitale administrative de la Bolivie. Une ville un peu... dure. Un peu flippante de pauvreté, alors qu'elle bénéficie d'un site formidable, au pied du mont Illimani. Je mets une image qui n'est pas de moi, pour donner une idée :

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La Paz est construite dans un creux de l'altiplano, entre 3600 et 4000 m d'altitude, et ressemble à une sorte d'immense favella de briques salles où les paysans pauvres de la région du nord viennent s'entasser dans des conditions d'hygiène désatreuses. C'est un peu comme si les campagnes environnant la ville déversaient leurs habitants depuis El Alto (la banlieue nord) et même depuis des dizaines de km en amont : longue suite de lots agricoles misérables vendus à des campesinos, le tout ayant pour nous le charme des décharges publiques, plus que celui de ce qu'on appelle habituellement "ville". Odeurs fétides, marchés à même le sol, où les cholitas en jupes et chapeau haut de forme vendent leur production agricole, mais aussi du matériel de sorcellerie (foetus de llamas...), tout un tas de babioles, se prostituent de jour en pleine rue (l'acte lui même, de jour et en pleine rue...), bref, à part 2 ou 3 rues historiques et quelques endroits sympas, on a vite quitté La Paz. Ceci dit, il y a des quartiers très riches, au sud, dans la partie basse (moins fatiguante pour le souffle, car moins d'altitude).

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De là, les ruines de Tiwanaku : ruines pré-incas, car si les occidentaux ont retenu les incas, ceux ci n'ont en fait regné que 100 ans alors que l'empire Tiwanaku a duré de - 1200 à 1500 ap JC. Sacré bail ! Belles ruines, vous verrez les photos, et sculptures dignes de Tintin au Pérou : d'ailleurs, c'est de Tiwanaku que s'inspire la BD, pas des Incas ! Ensuite, on continue sur le lac Titicaca, Copacabana et l'Isla Del Sol : Rhââââ ! Lovely, putaing ! Là c'est le pied : et la marche à pied, aussi. C'est le coeur de l'empire Inca, le lieux qu'ils ont considéré comme leur origine mythologique fondatrice. Palais mystérieux, lac magnifique sous le soleil, on a envie d'y retourner pour y passer plus de temps.

De là, on va à Sucre qui est en réalité la vraie capitale (culturelle et aussi politique) de la Bolivie. Belle ville à l'architecture coloniale bien conservée. On fait une belle balade de 2 jours avec un guide de l'université, qui nous fait cheminer sur des sentiers pavés du temps des Incas, paysages super, et soirée à la lampe à huile dans une cabane sans eau ni electricité dans un village Quetchua. Roots. Bouffe locale : maïs (Motté), patates, oeufs. On reviendra sur cet épisode (et sur les autres aussi), car y'a pas mal de choses à dire en dehors de ces aspects "factuels" du voyage. Notamment sur des rencontres sympas avec un paysan qui veut créer sont propre musée d'archéologie, et d'autres moins avec un ricain bossant pour un fond d'investissement...

On va ensuite à Potossi, la ville qui a fait la fortune de l'Europe au XVIème siècle, et le malheur de la Bolivie depuis... Ville où le minerai d'argent coule à flots du Cerro Rico mais où cette fortune n'a jamais profité à ceux qui l'exploitent, les indigènes, qui se tuent encore aujourd'hui à la tâche dans des conditions qu'on a préféré ne pas voir : le tourisme dans la mine pour voir les pauvres en train de se tuer au travail est un must à Potosi, mais on a préféré aller prendre le frai dans une estancia du XVIIème, luxe, calme, ballade en montagne, deux jours super. Et une rencontre avec la classe possédante, pour changer : la Bolivie, ce n'est pas seulement les campesinos pauvres, même s'ils représentent plus de 80% de la population. Avoir le point de vue des possédants n'était pas sans intérêt. Et leur estancia, waouh ! Meubles d'origine, tableaux d'époque aux murs, feux de cheminée avec le dueño, la totale.

Ensuite, toujours à Potosi, on choisit de reprendre un guide et de partir deux jours en altitude. Et hop : on a matché jusqu'à 5000 m d'altitude, même que ! Nan mais alors ! Ben dis donc, ça tue sévère l'altitude ! On pensait être de bons marcheurs, mais faut reconnaître qu'à partir de 4500 m, on avait l'air de limaces. Et à 5000, de cloportes, voire de légumes. M'enfin, on a passé le col et on a ensuite dormi chez un paysan Quetchua dans un corral à llamas... bourré le paysan... totalement bourré... Faudra qu'on en parle aussi, de cet épisode intéressant.

Voilà, ensuite on quitte Potosi pour Santa Cruz, la capitale économique, une ville très riche, et c'est le retour : bouh !

Bon, voilà un résumé lapidaire du trajet. Dès qu'on a un peu de temps, on rentre dans le contenu politique et anthropologique de la chose qui sera nettement plus intéressant. Mais au moins, ça vous donne une idée globale du voyage.

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Message par LLB »

Ah, bravo, je reconnais tout!
D'accord,on commence par le début : Gabriel Salinas.

Il s'agit d'un ami qui était exilé en Belgique où je l'ai connu et qui était retourné au Chili il y a quatorze ans, je ne l'avais pas revu depuis mais je lui avais parlé du présidictateur....
Gabriel est versé dans la connaissance des présidictatures, dictatures, et leurs pratiques.

Gabrie est aveugle des suites d'un accident à 6 ans
Il a connu ses amitiés politiques à 17 ans à Barcelone lors d'un voyage pour une opération des yeux qui lui a rendu un semblant de vue pendant quelques années.
Gabriel a été emprisonné en Argentine dans le cadre de l'opération Condor
Il s'est exilé en Europe.
Il se refaisait une vie là-bas en Belgique avec Brigitte sa femme mais Brigitte est décédée d'une crise cardiaque subite.
Gabriel est alors reparti une fois de plus tout recommencer mais jamais à zéro car cet homme transporte avec lui la joie de la vie, il est impossible de rencontrer quelqu'un de plus joyeux,et de plus bavard et intelligent passionnant, il sort sa guitarre, ou son accordéon, ou se met à son piano et chante à pleine voix, et les discussions continuelles, jamais lassantes, des heures et des heures à peine on s'assied quelque part, hop c'est parti pour la discute, philo, socio, politique, Gabriel a une culture à la fois humaniste et vécue au tréfonds de sa chair, rare, et de plus il est toujours amoureux, affectueux, heureux d'être avec ceux qu'il aime, fidèle toujours à tous ceux qui ont partagé sa vie mais jamais prêt à la gâcher par chagrin.
On a passé trois jours là-bas et on s'est quittés à Quintaye devant le délicieux poisson avec des projets communs, et gonflés à bloc pour la suite du voyage.
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Message par drÖne »

En effet, quel personnage extraordinaire que ton ami Gabriel ! Devant quelqu'un d'aussi gentil et positif, on a du mal à imaginer qu'il a subit la prison, la torture et l'exil durant tant d'années... Et quelle culture ! Bref, c'était l'introduction idéale pour ce voyage.

Bon, j'ai envie de mettre quelques éléments sur la Bolivie maintenant, pour ceux que ça intéresse. Surtout LLb n'hésite pas à compléter/contredire si je m'égare ! Et si y'en a qui veulent participer, hein, faut pas hésiter. Bon, la Bolivie occupe une place importante au plan culturel en Amérique Latine. D'abord, parce qu'avec le Pérou, elle est au coeur des plus anciennes civilisations andines : Tiwanaku puis Inca. Ensuite, parce que contrairement à l'Argentine ou au Chili, elle a conservé ses traditions, son mode de vie, car sa population est composée à plus de 80% d'indigènes issus de 3 tribus principales (je précise que le terme "indigène" n'a rien de péjoratif : il est utilisé pour se nommer par les indigènes eux-mêmes). 3 tribus, donc : les Aymaras (au nord), les Quetchuas (plus au sud, de Sucre à la frontière de l'Argentine) et les Guaranis (à l'est et au nord est). Les Ayamaras et les Quetchuas sont des andins, qui vivent dans l'altiplano (à des altitudes comprises entre 2000 et 5000 m), alors que les Guaranis sont des amazoniens vivant dans les zones tropicales (à l'origine, dans la jungle). Y'a encore d'autres populations, comme les Chipayas, mais ils sont en voie de disparition. Le reste c'est des "blancs" : les descendants des conquistadors qui ne se sont qu'en partie métissés. En gros, la distinction entre indigènes et blancs recouvre la partition sociale entre paysans souvent pauvres et vivant dans des conditions peu différentes de celles du XVIème siècle (modes alimentaires, habitats et habillement, pratiques cultuelles) et classe possédante. Il y a bien entendu eu des métissages et une partie des indigènes vit aujourd'hui en ville et porte des Nike ou des fringues occidentales. Mais on sent tout de même une partition assez nette entre la classe possédante, qui est principalement urbaine et concentrée entre Sucre et Santa Cruz, et les indigènes qui peuplent les campagnes ou les villes pauvres comme La Paz. On considère que 63 % des boliviens vivent sous le seuil de pauvreté ( http://www.latinreporters.com/boliviepol17122005.html ).

Tout ça n'est pas sans conséquences au plan politique. Vous avez sans doute tous entendu parler d'Evo Morales et des nationalisation des hydrocrabures. Le Monde Diplo en a un peu parlé, la télé aussi. Morales est le premier indigène a avoir été élu à la tête d'un Etat latino-américain.

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C'est tout de même extraordinaire ! plus de 500 ans après l'invasion par les conquistadors, plus d'un siècle après les guerres d'indépendance, les pays latino-américains ont tous, sans exception, été dirigés par des non indigènes. A l'exception de la Bolivie, depuis 2005. Encore a-t-il fallu un début de guerre civile, puis des élections : morales a été élu avec un score confortable ( http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lect ... ne_de_2005 ) et sur la base d'un programme anti-libéral. Il revendique l'héritage de Che Guevara, et c'est un ancien paysan (d'abord éleveur de lamas, puis cultivateur, enfin, sur le tard, planteur de coca). Issus de la classe pauvre des paysans aymaras, ses 4 frères sont morts de faim, histoire de planter le décors. Il a fait par la suite une "carrière" de syndicaliste, avant de se présenter aux élections en 2005 et de les remporter.

Mais il me semble que ce serait une erreur de se contenter d'analyser sa victoire dans les termes de l'opposition droite-gauche uniquement. Car en fait, ce qui est en train de se passer en Bolivie, c'est un véritable processus de décolonisation. C'est la reprise du pouvoir par les indigènes après 5 siècles d'exploitation, et évidemment, ça ne se passe pas dans la joie et la bonne humeur du point de vue de la classe possédante ! Par rapport aux analyses du Diplo, il faut aussi moduler : les enjeux sont bien plus "micro-locaux" que ce que Ramonet et ses amis en disent. Car il s'agit avant tout de donner des droits fondamentaux aux indigènes qui n'en avaient guère... Par exemple : les indigènes n'avaient bien souvent pas de papiers d'identité (donc, pas d'identité aux yeux de l'Etat, pas moyen de voyager, etc.). Il s'agit aussi et surtout de redistribuer les terres et de les donner à ceux qui les cultivent. Il s'agit, également, du droit à prendre la retraite, à parler sa langue natale, à accéder à l'éducation, à ne pas subir l'esclavage des enfants dans les mines, etc.

Ensuite, ce qui est en cours, c'est une évolution dans les mécanismes de prise de décision politique. Les indigènes ne "décident" pas de la même manière (pour toutes sortes de sujets) que les blancs : ils décident par débat oral et discutent jusqu'à obtention d'un consensus. Ce sont des cultures rurales et communautaires au sein desquelles tout individu âgé de plus de 18 ans DOIT prendre des responsabilités, par exemple être maire de sa "communauté" (avec des systèmes de rotation des charges) et décider de la distribution des terres qui sont collectives, et n'appartiennent pas en propre à un propriétaire. Bref, vous imaginez le pataquès quand des cultures aussi différentes de celles des blancs arrivent au pouvoir ?

Hé bien le pataquès en question a pris, sous l'égide de Morales, la forme d'une constituante chargée de refonder l'Etat Bolivien sur la base des valeurs indigènes. Hé oui : EUX, ils ont eu droit à une constituante pour élaborer leur constitution. Et pas NOUS, avec l'Europe. Mais bien entendu, ça n'empêche pas les grincheux (possédants, cons de ricains, industriels du pétrole, etc.) de crier au totalitarisme de Morales... Et aux médias européens de colporter tout et n'importe quoi. Quant aux soutiens internationaux, Morales n'en a guère. Quand je pense que cette conne de S. Royal a été soutenir M. Bachelet nouvellement élue au Chili parce que c'est une femme (pfff... bonjour l'enjeu...), alors que Bachelet est une socialiste de droite, et que personne en France à part Bové n'a soutenu Morales qui est en train de créer de toutes pièces une nouvelle démocratie là où il n'en existait qu'un simulacre !

Bref, quand nous étions en Bolivie, c'était (et c'est encore) la période de constitution de l'assemblée constituante. On aurait pu imaginer un entousiame, une énergie, des débats passionnés et des utopies... Mais en fait, pas vraiment : ça accouche dans la douleur, dans les tensions raciales, dans les coups de poings, dans les insultes. A bien y réfléchir, la Bolivie est entrée dans une période dangereuse, qui pourrait déboucher prochainement sur une guerre civile si jamais les forces réactionnaires du pays (en gros les blancs et les industriels soutenus par l'Europe et les USA) continuent à torpiller le procesus démocratique en cours. Les députés blancs de la constituante insultent les députés indigènes, les frappent en pleine assemblée, il y a même eu un mort à Sucre, lieu où les constituants sont réunis, un député indigène attaqué par des députés blancs. Des députés ont été attaqués par la foule, et la ville de Santa Cruz (la ville la plus riche, qui vit dans des villas luxueuses protégées par des barbelés et dont les habitants se déplacent en 4x4 de luxe) menace de faire sécession avec sa province qui possède, bien évidemment, des champs pétrolifères et du gaz...

De son côté, Morales a la masse des paysans pauvres et l'armée, qui le soutient, et qu'il commence à envoyer pour que les lois sur la redistribution des terres aux indigènes soient respectées. D'où les accusations de "totalitarisme".

La situation était donc bien confuse et tendue, et c'est bien dommage qu'un tel apétit démocratique, susceptible de déboucher sur de telles transformations sociales, culturelles et économiques, ne soit pas plus suivi en Europe par les médias et les politiques. C'est tout de même pas tous les jours qu'un Etat se dote d'une constitution !

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TouF
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Message par TouF »

Je me délecte de votre récit!
Les tensions dans ce genre de bouleversement ne sont pas vraiment étonnant... je dirai même qu'ils ont inévitables.
Interessant de voir, enfin, comment un débat démocratique est gérer par une autre culture. Prenons des notes!
De ce que tu dis, je ne peut m'empêcher de faire un parallèle avec l'espagne de 1936... :?
Mais je suis agréablement étonné que l'Armée soit derriere Morales. j'imagine que le commandement doit etre majoritairement blanc et originaire de la haute-bourgeoisie?
La situation était donc bien confuse et tendue, et c'est bien dommage qu'un tel apétit démocratique, susceptible de déboucher sur de telles transformations sociales, culturelles et économiques, ne soit pas plus suivi en Europe par les médias et les politiques. C'est tout de même pas tous les jours qu'un Etat se dote d'une constitution !
Est-ce vraiment etonnant?... :roll:
N'y-a-t-il vraiment personne parmis les "penseurs" occidentaux qui suivent et analysent cette nouvelle situation?!!!
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