Da gelo a gelo

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Chaosmose
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Da gelo a gelo

Message par Chaosmose »

Création qui vaut le détour : la répétition générale hier soir était un délice. Musique toute en retenue, un rendu sonore de la nuit absolument fantastique le tout sur fond d'atemporalité poétique admirablement chorégraphiée par Trisha Brown.

Il manquera la magie visuelle, mais l'opéra est retransmis mercredi 23 mai à la radio :
http://www.radiofrance.fr/chaines/franc ... &pg=avenir


Salvatore Sciarrino (NÉ EN 1947)
Da gelo a gelo

Cent scènes et soixante-cinq poèmes
d’après le journal d’Izumi Shikibu (Japon, XIe siècle)
En langue italienne

L'histoire

C'est une histoire sans histoire, dépourvue de grands bouleversements, à l’image de la vie de chacun. Une fausse quiétude, faite d’indécisions, de subterfuges et de tristesse, et de l'instabilité de celui qui ne sait où se cacher. Dès lors, être deux à sortir d’une maison devient un véritable traumatisme ; le fait de changer de domicile, un événement plus que marquant, voire le point de départ d’une incertitude nouvelle. Interdits, nous demeurons dans l'attente de conflits qui ne manqueront pas de surgir à tout instant. Le livret est tiré du Journal d'Izumi Shikibu. Ecrit en 1002-1003 après Jésus-Christ, c'est sa seule œuvre en prose. L'auteur est considérée comme la plus importante poétesse du Japon ; sept volumes de poésie nous sont parvenus. Née en 974, elle se maria et eut une fille, poétesse elle aussi. Peu après, elle se sépara de son mari et devint la maîtresse du prince Tametaka. Celui-ci mourut en l'an 1002. Le Journal traite d'une nouvelle relation avec le prince Atsumichi (nommé également Sochi no Miya). Il s'interrompt au moment où la relation cesse d'être secrète, où Izumi va vivre au palais du Prince. On sait, sans en connaître le motif précis, que le scandale fut tel qu'elle dut quitter et le palais et son amant. En l'an 1005, elle épousa le gouverneur de Tango. Trois ans plus tard, elle fut appelée par l’impératrice Akiko à la Cour de Kyoto où résidait déjà Murasaki, la plus célèbre femme écrivain du Japon qui, elle, s'exprimait en prose.
Salvatore Sciarrino (Traduction : Sabine Konz)



La mythologie du quotidien

Un entretien avec Salvatore Sciarrino
Entretien : Stephanie Twiehaus -Traduction : Sabine Konz

Le livret de "Da gelo a gelo" est basé sur le journal et les poèmes d’Izumi Shikibu, poétesse japonaise du XIe siècle. En effet, vous vous intéressez à l’art japonais depuis fort longtemps.
Oui, j'ai commencé à m’intéresser à la littérature japonaise à l'âge de douze ans. De fait, jusqu’à l’âge de vingt-deux ans je n'ai jamais mis en musique autre chose que des poésies Haiku. Ce sont des poèmes de trois lignes de trois vers, et de peu de syllabes. Le Haiku a inspiré nombre de poètes modernes et il a été pour moi une merveilleuse école. Basho surtout, qui vécut au XVIIe siècle, en ascète, et qui fut l’un des représentants les plus importants du Haiku, a été pour moi, par-delà les siècles, un professeur très important ; il m’a appris la rigueur du style et l'importance d'aller à l’essentiel. De plus, à l’époque, je me suis également beaucoup intéressé à la chimie . et je crois que l'influence de ces deux passions se ressent dans le style de mes mondes sonores.

Comment avez-vous découvert les oeuvres d’Izumi Shikibu, et quelle est la fascination qu’elles exercent sur vous?
J'ai lu le Journal d'Izumi Shikibu pour la première fois il y a plus de vingt ans, et depuis je n'ai cessé de songer à une transposition théâtrale. Je m’y suis finalement attelé quelques mois après la création de Macbeth. L'Italie n'a jamais porté tellement d’intérêt au Journal étant donné qu’il s’y passe peu de choses en apparence. Dans cette oeuvre, il s'agit d'une toute autre dimension de l'action puisque c'est justement dans l'apparente immobilité qu’il se passe beaucoup de choses essentielles : c'est une histoire d'amour faite d'une alternance d'urgence et de retenue. L'espoir et la douleur sont inextricablement liés en son centre où se produit l’engrenage éternel des relations amoureuses. Les conditions sociales en sont effacées : le Prince pourrait très bien être un homme d'aujourd'hui, normal, marié. Et les deux amants vont trébucher en permanence sur le chemin l'un vers l'autre, car leurs états psychologiques respectifs ne s'accordent jamais. C'est ici qu'apparaît la mythologie du quotidien, sujet qui m'intéresse tout particulièrement.

Le fait que ces œuvres proviennent du Japon a-t-il une importance particulière ?
Non, cela n'est important ni pour le contenu ni pour la musique. L'histoire pourrait tout aussi bien se passer dans la Rome antique ou à Madagascar.

Aviez-vous traduit l’œuvre en italien vous-même?
Non. Il en existe des versions en italien, qui sont - comme souvent lorsqu'il s'agit de littérature orientale - des traductions de la version anglaise. Par ce détour, ces traductions s’éloignent parfois du texte original. Pour le Journal, cela n'a qu'une importance relative puisque c'est l'action qui m'importe, non le mot à mot. J’ai commencé par découper le Journal en tranches pour en extraire quelques points exposés, puis j'ai réécrit le texte à plusieurs reprises. Je ne voulais pas que les poèmes ne soient que des exercices de traduction, il fallait en conserver la force, la clarté et la profondeur. Je les ai donc retravaillés énormément, à l’aide d’anthologies, avec l'objectif de me rapprocher de l'original : les mots doivent avoir la précision et le tranchant d’une épée.

Le livret comporte « 100 scènes avec 65 poésies », est-ce à dire que l’action se passe à plusieurs niveaux ?
La fragmentation du texte appelait une forme dans laquelle cohabiteraient la continuité et le changement. Ce qui donne les 100 scènes sur lesquelles s'étend l’action. L’échange épistolaire apporte un second niveau, indirect dans la mesure où tout en entendant les mots de celui qui écrit, on voit celui qui lit. La majeure partie de cette correspondance entre les deux amants est en effet constituée de poèmes, et c’est autour de ces vers qu'en quelque sorte viennent se figer des messages faits de phrases du quotidien.

Ces différents niveaux sont-ils représentés par la réalisation musicale ?
Oui. Il faut imaginer qu'il n'y a pas que les personnages qui parlent ; les pages écrites se font entendre à leur tour. Ces différents types d’écriture sont rendus par des stylisations et des types de voix différenciés : les dialogues dans lesquels les personnages se rencontrent sont déclamés ; certaines parties des lettres sont chantées dans un style plutôt lyrique tandis que d'autres encore sont confiées à des instrumentistes qui y apportent une certaine distorsion, conférant aux mots une qualité plus mécanique et impersonnelle. Ainsi, à chaque protagoniste est associé un couple de flûtes prêtant leurs voix à la prose des lettres. L’effet est celui d’un voile sonore à travers lequel se fait l'écoute. Cela a son importance puisque tout au long de l'opéra, ce qui se passe réellement ne présente pas cette qualité sonore-là qui ferait presque penser à une mauvaise liaison téléphonique.

Vous avez également une idée très précise de l’espace scénique.
En effet, j'indique dans le livret des didascalies atypiques dont la réalisation artistique concrète reste libre, bien entendu. Dans mon idée, la scène est séparée en deux moitiés, éventuellement par une sorte de mur. L'espace de la femme est situé à gauche (côté jardin), celui du Prince, à droite (côté cour). Il ne s'agit pas d'espaces indéterminés mais plutôt d’espaces de vie géométriques. Si une action a lieu dans l'une des parties, l'autre reste dans l'ombre. L'échange des messages est conditionné par cette alternance : la protagoniste lit un message tandis que la voix de l'amant nous proviendra de l'ombre et vice versa. Ainsi, la dramaturgie nous fait vite comprendre où nous sommes et ce que nous voyons sur scène. J'étais fasciné par cette possibilité de pouvoir conférer aux personnages à la fois identité et dédoublement, par le truchement d’un niveau supérieur du temps et de l’espace au déroulement moins linéaire que d’habitude.

Le titre italien Da gelo a gelo se traduit par « D’un froid l’autre ». Cela semble impliquer une idée cyclique.
C'est en effet l'idée du cycle temporel, du retour de la saison froide visible dans le passage au ralenti des jours tel un lent goutte à goutte : jours de la solitude forcée, de l’attente et du délaissement. Da gelo a gelo est un titre plein de sens en italien tandis qu'en allemand, la traduction littérale ne sonne pas ; aussi, j'ai préféré le titre Kälte (le froid) [pour la création au Festival de Schwetzingen NDT], dont la signification n'est pas seulement météorologique mais également émotionnelle.

Sachant que vous êtes toujours votre propre librettiste, développez-vous le texte et la musique en symbiose ou l’un après l’autre ?
Le développement de l’idée théâtrale comme le mûrissement du projet dramaturgique nécessitent toujours un temps très long. Après, la musique va bien plus vite. Mais, une fois que je commence à composer, il y a un processus symbiotique qui se met en route. Chemin faisant, la musique appelle de nombreux changements du texte, parfois substantiels. On peut donc dire que livret n'est achevé que lorsque la dernière note est écrite. Mais l'élément principal de la dramaturgie, celui qui guide autant le texte que la musique, c'est l'expression vocale. Elle constitue l'élément qui détermine le mécanisme de l’opéra en tant que tel. Si l’on n’atteint pas un style vocal bien précis, ce n’est pas la peine d'écrire de l’opéra. Si le théâtre n’a pas d'abord lieu dans la musique, et non sur scène, on peut aussi bien écrire des pièces de théâtre. Le problème est que beaucoup de gens disent : « Je veux être compositeur », ou « peintre ». Mais il faut d'abord exister en tant qu'être humain, car pour le théâtre, c’est là l’essentiel.

Dans votre biographie, vous soulignez que vous n’avez pas fait le Conservatoire. En quoi est-ce important pour vous ?
Le chemin vers l'art repose sur deux phénomènes : la créativité (c’est-à-dire la capacité de percevoir des horizons, aussi celle d'ouvrir l'esprit et d'appréhender le monde) et la culture (la connaissance directe de notre tradition : la moderne autant que l'ancienne). J'ai la conviction que nos écoles ne sont pas aussi directes qu'il faudrait.

Da gelo a gelo est votre troisième opéra écrit pour le Festival de Schwetzingen. Peut-on parler d’une « trilogie de Schwetzingen » composée de vos œuvres Die Tödliche Blume (la fleur mortelle), Macbeth et Da gelo a gelo?
Le nombre de mes opéras excède bien sûr ces troisl à. Tous sont reliés par une idée et un développement continu. Mais pris en tant qu'ensemble, les trois opéras de Schwetzingen pourraient donner à voir mon ambition à long terme: je veux réformer le théâtre musical. Je suis en effet persuadé qu’il faut avoir des visées ambitieuses et qu'il faut les poursuivre avec détermination. J’ai toujours été habité par cette idée sans être capable de la formuler au début. Aujourd’hui, je pense qu’elle s'exprime clairement à travers ma musique.

A paraître en mai 2007
« Quaderno di Strada de Salvatore Sciarrino »
Par Gianfranco Vinay
Collection Musique et Analyse aux Editions Michel de Maule
http://www.operadeparis.fr/Saison-2006- ... asp?Id=986
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Chaosmose
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Message par Chaosmose »

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Feutrée, feulée, frôlée, frottée : telle est la musique ultraraffinée de Salvatore Sciarrino (né en 1947), dont l'Opéra de Paris présente en création française l'opéra Da gelo a gelo. Celui qui est probablement le plus grand compositeur contemporain italien est aussi le plus radical dans sa manière de s'inscrire dans cet "art subtil" dont certains cercles d'esthètes, à la fin du XIVe siècle, assuraient qu'il n'était pas à mettre entre les oreilles du premier venu.


A l'heure où les représentants musicaux officiels de la République se nomment Mireille Mathieu et Johnny Hallyday, la musique de Da gelo a gelo n'a à proposer que les griffures sonores d'un art hautain autant que taiseux, qui fera fuir ceux qui n'aiment, à l'opéra et dans la musique en général, que les textures féculentes.

Car l'art sidérant de Sciarrino est de ne jamais offrir de résolution à la tension quasi sexuelle que chacune de ses oeuvres met à l'épreuve. La jouissance de l'écoute ne trouve, comme dans les musiques extra-européennes cérémonielles de longue durée, son épanouissement que dans ce report infini du climax. Comme disait Guitry, qui avait tout compris : "Le mieux dans l'amour, c'est quand on monte l'escalier."

L'escalier de la musique de Da gelo a gelo, d'après le Journal (1002-1003) de la poétesse japonaise Izumi Shikibu, est en infinie révolution. Cent "paliers" composent l'ascension pourtant immobile de cet opéra d'1 h 50 sans action. Mais il faut se laisser porter par la subtilité de ces effarements sonores inouïs, de cette écriture vocale héritée de l'art madrigalesque ancien, de ces presque rien qui constituent cette "histoire sans histoire". Il faut accepter aussi de se laisser aller à une écoute flottante, et c'est peut-être par ce biais qu'on peut le mieux goûter les qualités de l'inventivité microscopique mais détonnante de Sciarrino.

Cette coproduction du festival de Schwetzingen (Allemagne), de l'Opéra de Paris et du Grand Théâtre de Genève est l'une des plus flagrantes réussites de l'opéra contemporain, où les ratages abondent. C'est parce qu'il affiche un retrait des vulgarités du monde d'aujourd'hui que Sciarrino est un compositeur universel. Le spectacle présenté par l'Opéra de Paris, mis en scène par Trisha Brown, est d'une perfection musicale, poétique, dramatique et visuelle rare.

Da gelo a gelo, de Salvatore Sciarrino. Avec Anna Radziejewska, Cornelia Oncioiu, Felix Uehlein, Michael Hofmeister, Otto Katzameier, Ensemble Klangforum de Vienne, Tito Ceccherini (direction), Trisha Brown (mise en scène). Opéra de Paris, Palais Garnier. Jusqu'au 10 juin.

Renaud Machart
Article paru dans l'édition du 25.05.07.
c h a r l i e
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!

Message par c h a r l i e »

ça se joue encore ?
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Chaosmose
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Re: !

Message par Chaosmose »

i n f o r m e a écrit :ça se joue encore ?
Malheureusement non... Je donnerais n'importe quoi pour le revoir.

Sinon, j'ai trouvé le livret :
http://www.dicoseunpo.it/dicoseunpo/S_f ... o_gelo.pdf

PS : je te l'ai envoyé sur ta boite mail charlie - via yousendit, donc à télécharger rapidos.
c h a r l i e
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Message par c h a r l i e »

héhéhé merci je vais faire rapidos !
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