Voici un post que j'ai envoyé à l'origine sur icilombre (un forum free party). Ca répondait à quelqu'un qui écrivait "Merci Sarkozy" et qui se félicitait de ce teknival. La remarque que faisait Baroof (j'y fait référence plus bas), en réponse à ce "merci Sarko", était la suivante :
Voici ce que je répondais, qui peut nous intéresser ici, j'espère :Voilà le message est clair: Sarko a matté les dealers, la jeunesse française va devenir propre. Même la techno ne lui resiste pas. De sale camés dangereux on se transforme en enfants sages.
Son interêt n'est pas de satisfaire une partie de la population (nous en locurence). C'est de persuader l'opinion publique que tout va bien. On traque les jeunes de cité, on assagit les raveurs, on condamne les chauffards, .. dormez tranquille et votez pour moi
Je ne suis pas allé au tekni, par principe (je me suis expliqué là-dessus, j'y reviens pas). En revanche, je peux intervenir dans votre discussion sur un point : c'est maintenant devenu un état de fait assez général que seules les initiatives de grande ampleur ont droit de cité, et ce pas seulement dans le domaine de la musique. C'est tout l'ensemble du secteur culturel qui est touché. Grosso modo, les institutions se débrouillent pour verrouiller les initiatives locales et de taille modeste qu'elles ne contrôlent pas (fermeture de nombreux bars et lieux festifs dans toute la France ces derniers mois), et ne laissent survivre que les grands festivals (cf. mon article là-dessus : http://www.drone-zone.org/pages_html/po ... _lyon.html).
On entre là dans une logique politique : Baroof l'a bien explicitée, et je trouve sa remarque excellente. Je pense qu'on pourrait la pousser encore plus loin : maintenant que l'habitude est prise d'un tekni légal, je suis persuadé que nos édiles ont en tête l'idée que ce tekni va chercher à se perenniser. Or, la mise en place des conditions de reproductibilité régulière d'un gros festival, j'appellerais ça... institutionalisation. Avec cette pérennisation, qu'on peut trouver positive (pourquoi pas ?), viendra certainement une modification des modes de faire : la durée s'accomodera mal de la gratuité et du caractère alternatif, faut pas rêver. On peut donc prévoir que le côté "foire du trône" que certains relevaient à propos de ce tekni ne fera que s'amplifier, et que ma métaphore ironique du "Disneyland de la Contre Culture" deviendra de moins en moins métaphorique pour qualifier à l'avenir ce type de rassemblement...
On retrouve la logique de la [dé] fête de la musique qui ne permet plus aux zicos que de s'exprimer dans des lieux et des temps bien réglementés par les mairies, le reste de l'année se réduisant à peau de chagrin. Or, les enjeux de la mise en place d'une logique de gros événements doivent être analysés sur le long terme. Qu'est-ce qui se met en place, là ? C'est la possibilité, pour les autorités, d'avoir tout le monde en même temps sous les yeux. Le principe de pouvoir qui consiste à avoir tout le monde sous les yeux, c'est celui du "Panoptique" (lisez Michel Foucauld à ce sujet au lieu de vous repaître des conneries de la Presse ou des slogans réducteurs des activistes de tous poils !). A part Foucault et ses réflexions sur le pouvoir, je vous conseille également de lire Michel de Certeau ("L'invention du quotidien, tome 1", Gallimard, 1990). Vous y trouverez un truc très connu, c'est son opposition entre "stratégies et tactiques" : Certeau relève le fait que les guerillas se caractérisent par la mobilité et l'action sur le terrain de l'Autre (les forces installées). Contre ces tactiques des guerillas, les forces établies sont souvent impuissantes. Bon, hé bien dans le cas des teknis, cette légalisation se comprend bien : il s'agit de faire en sorte que la "guerilla" des free et des raves (mobiles, petits événements, petite infrastructure) rentre dans le jeu des institutions en devenant tributaire de stratégies lourdes et complexes : mise en place d'une logistique, infrastructures matérielles importantes, responsables désignés, public nombreux, etc. C'est l'idéal pour désamorcer toutes les idées alternatives qui collent à la tek.
Donc, merci Sarko ? Heu... ouais, mais faut bien voir où sont les enjeux et dépasser le simple constat d'une satisfaction ici et maintenant de vos envies de teuf, les gars : pensez à l'avenir et à la manière dont ce type d'événement peut, sur le long terme, redéfinir l'ensemble du mouvement...