Bon, mais qu'en pensent les musiciens que l'on convoque ainsi en "pères fondateurs" ? J'ai trouvé le texte d'une intervention d'un musicologue dans un séminaire, et je vous en cite un extrait édifiant
( http://www.cdmc.asso.fr/flash/html/10sa ... grynsz.htm ) :
J'avais déjà entendu parler de cette polémique suscitée par Pierre Henry, mais je ne savais pas que Boulez avait des opinions disons aussi... tranchées à propos de la techno. Ceci dit, il est coutumier du fait : il disait à peu près la même chose du jazz...Entre besoin de reconnaissance allant jusqu'à citer comme influence des musiciens tels que Boulez, Stockhausen ou Pierre Henry qui avouent volontiers ne pas apprécier du tout la Techno, voire, à dénier toute valeur esthétique à cette musique. Certains musiciens Techno se verraient bien dans les pas de leurs illustres et installés idoles. Se voir reconnaître dans un tel héritage semble représenter pour eux une valorisation séduisante, et ils cherchent par leur discours cette légitimation qui leur octroieraient un position socio-culturelle très confortable, voire dominante. D'autres au contraire ignorent délibérément ce qu'ils considèrent comme une musique élitiste et ennuyeuse, à laquelle ils sont insensibles.
Or bien sur il n'est pas aisé de se faire accepter dans le sérail des musiques légitimée par les élites culturelles du monde occidental. Le clivage se situe à la fois en termes esthétiques, sociaux, culturel, et probablement encore davantage d'ordre générationnel.
Le discours de Pierre Boulez sur la Techno est très virulent et excessif, mais ce qui est intéressant, c'est qu'il n'hésite pas à parler d'une musique qu'il ne connait qu'à travers les mass médias. Son discours fait et a toujours fait beaucoup de bruit : c'est un personnage haut en couleur et son influence est considérable. Le rapport à la musique passe par des médiations complexes et des représentations caricaturales. Comme Finkielkraut l'avait fait avec le rock dans son livre "la défaite de la pensée", Boulez relance le mythe du retour de la barbarie associé au panurgisme des amateurs de Techno. Le barbare c'est celui qui parle mal sa propre langue, celui qui balbutie. Stockhausen a l'impression en écoutant la Techno d'entendre quelqu'un qui bégaie. La boucle, la répétition régulière semble en effet une déconstruction du langage, un moyen de casser la narration en miroir du sérialisme qui voulait casser la répétition. Il y a une piste de réflexion à mener sur la fin de la suprématie du modèle du langage en musique utilisant les écrits de Lyotard sur la post modernité.
La Techno véhicule des valeurs opposées à celles des lumières et du Beau kantien (plaisir pur dégagé de toute sensualité, notions de sacré, de pureté, d'élaboration du matériau. La Techno fusionne la musique et la fête à travers la transgression des valeurs musicales dominantes, auxquelles elle substitue la catharsis, l'immédiateté et la brutalité du son.
Dans un entretien récemment accordé à Epok, revue de la Fnac, grosse entreprise de marchandisation de la culture, Boulez accuse la Techno d'une "pseudo rébellion totalement récupérée par le circuit marchand". Mais que fait-il lui même sinon assurer la promotion de ses derniers enregistrements ? Il accuse la Techno de fascisme en déclarant que "c'est une musique qui aurait pu être adoptée par Hitler", Certes, mais le régime nazi a surtout utilisé Wagner, un compositeur que Boulez admire et a enregistré. Toute musique peut-être instrumentalisée par le pouvoir politique, la Techno (le régime serbe a parait-il organisé des raves et des concerts rock), comme la musique contemporaine. Ainsi la mairie de Paris soutient fortement les projets de Pierre Boulez pour s'assurer une bonne image culturelle auprès des élites.
La rave, pour Boulez, se complaît dans la soumission et le panurgisme. Tout le monde danse au pas de l'oie sur un "martèlement imbécile qui semble dire, vous êtes des esclaves et vous resterez des esclaves". Il y a indubitablement une célébration de la puissance du son, mais on peut renverser la comparaison. Assis dans un fauteuil et totalement interdit de mouvement le public qui assiste au concert de musique classique et exacadémique accepte une soumission encore plus totale au son. Pourquoi associer le fascisme qui est une système politique à la musique de danse mouvements synchrones des corps ?
Lorsqu'on a vu paraître un album hommage de musiciens Techno à Pierre Henry, on aurait pu croire à une transmission désirée, or pierre Henry, dans un entretien accordé au magazine Art Press raconte que c'est sa maison de disque qui avait tout manigancé en invitant des musiciens Techno à remixer sa musique sans rien lui dire de peur qu'il refuse. E pierre Henry d'ajouter qu'il aurait refusé ! Au final, il a laissé faire et reste dubitatif sur l'intérêt artistique de l'entreprise.
Il est symptomatique que Pierre Henry soit surtout cité par les musiciens Techno pour son "psyché rock", un musique composée avec Michel Colombier pour le spectacle "messe pour le temps présent". Ce fut un véritable succès commercial, fait inédit dans la musique électroacoustique. Or il qualifie cette oeuvre de tout à fait anecdotique dans son oeuvre. Effectivement lorsqu'on l'écoute, cette musique est tout à fait simple, structurée comme un morceau de rock, complètement décalée par rapport aux oeuvres qu'il composait à l'époque. Son commentaire réduit l'expérience à "une dérive marrante". Le malentendu se résume ainsi : Pierre Henry est connu pour son imitation de la musique rock qu'il admet ne pas connaître.
Emmanuel Grynszpan.
Pour conclure, je dirais que puisque les pères fondateurs que la techno (toute la techno ? J'en doute) cherche à se donner du côté des musiques dites "savantes" ont un discours aussi réactionnaire, je vois mal l'intérêt de faire appel à eux pour légitimer ce qui, après tout, n'a jamais eu besoin de fondateurs "savants" pour exister ni pour être créatif. Ce n'est qu'à l'intérieur de cette construction sociale absurde qui prétend qu'il y aurait d'un côté des musiques savantes (donc légitimes, complexes, dotées de formalismes, etc.) et de l'autre des musiques populaires (donc illégitimes, simplistes, non formalisées) que l'on peut avoir intérêt à se donner des pères fondateurs du côté des musiques savantes.
Mais si on refuse ce clivage savant/populaire, en faisant remarquer qu'il ne repose que sur des préjugés socialement construits (et au passage financés et soutenus par les institutions publiques, dont l'Ircam et les conservatoires), alors on peut parfaitement trouver légitime de faire de la techno sans avoir besoin de charcher une légitimité "ailleurs" que dans notre propre pratique, dans nos propres exigeances de créativité, nos propres formalismes (il en existe). En gros, je suis en trainnde dire merde à Boulez et à Henry : qu'ils aillent se faire foutre, eux et leur prétention à être le tout de la musique "savante" à grand coups de financements publics ! Dans ces conditions, bien entendu que c'est facile d'être légitime, d'avoir une exigeance de créativité et d'excellence, d'avoir pu développer des formalismes très complexes ! Mais si à chaque représentation de Boulez on lui envoyait la police, avec saisie du matériel de l'Ircam, amandes, bastonnage du public, etc., il en serait où aujourd'hui, ce con de Boulez ?
+A+