Musique et souvenirs

Discussions sur les enjeux politiques et socio-culturels des musiques populaires ou savantes.

Modérateur : drÖne

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LLB
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Musique et souvenirs

Message par LLB »

Je ne sais où caser cette histoire, ni comment la nommer, ça fait un moment que je ne suis pas venue sur le forum, je me suis donc mise dehors, faute de pouvoir (ou de vouloir) participer vraiment aux projets et discussions en cours. L'autre jour je suis allée écouter Mahaleo au New Morning, je croyais qu'il n'y aurait personne pour un concert organisé par le groupe malgache dont la salle ne vendait même pas les places directement. O surprise joyeuse et mauvaise humeur à la fois, quand j'arrive dix minutes avant l'heure il y a une file de trois cent personnes environ. Bon sang mais c'est bien sûr, la communauté malgache de Paris, il ne va plus rester aucune place. Tant pis, je reste et j'attends, et tous ceux qui arrivent après moi font de même, la file est hors d'échelle par rapport à la taille de la salle. Finalement comme dans les paraboles, absolument tout le monde rentre. Vue du ciel en enlevant le toit la foule doit avoir une forme de champignon, le chapeau formé par les sièges tout autour de la scène, et le pied dans le couloir d'accès, je suis dans le pied, un peu dehors donc par rapport à la salle proprement dite, mais je finis par me rapprocher jusqu'à apercevoir des fragments de musiciens en particulier Dama au centre.
Ils démarrent. Je ne sais pas si vous seriez nombreux ici à apprécier ce genre de ballade qui n'a rien d'exotique, pas de tam tam, pas d'Afrique, 100% malgache, des chansons d'amour, de nostalgie, de l'harmonica, des refrains : est-ce que j'apprécierais si j'entendais ça ici maintenant? Je ne sais pas, c'est Mahaleo, d'où vient la magie? De la piste, vers l'Isalo dans une voiture et sa cassette en boucle pendant huit heures de route? De l’enfance….Des situations auxquelles on associe la musique toujours, ça doit faire le désespoir des musiciens cette tendance irrésistible. Mais il y a autre chose : depuis trente ans, les musiciens de Mahaleho ont ce type de profil qui a disparu chez nous, député-sociologue-musicien, sociologue-paysan-musicien, etc.
Ca fait penser à ces ethnologues, Jacques Soustelle, Germaine Tillion, qui avaient des responsabilités politiques en Algérie en 58 pendant cette incroyable et très brève période pendant laquelle ils expérimentaient des structures complètement originales, avant que tout cela ne soit écrasé par la realpolitik, par la guerre et par l’oubli : On ne leur reprochait certes pas leur intellectualisme, on s’est contenté d’oublier, comme ça, on pouvait faire en sorte que les intellectuels soient des gens qui n’avaient jamais rien fait que tout compliquer, place aux experts, qui évidemment font simple et efficace. Tout ça pour dire, à propos d’intellectualisme, de musique, tu comprends Dröne… Un truc aussi quand même, chez Mahalo, c’est que dans leur musique, il y a ce mélange propre aux répertoire populaire de tant de pays pauvres, nostalgie terrible et espoir indéracinable, voyez le cocktail banal à souhait, et nous là-dedans, on a tellement banni ça de toute notre culture, pourquoi donc au fond ? Allez savoir….Je suis sortie avant la fin, j'étais quand même pas tout à fait dedans, dans le pied, et je ne connaissais pas les paroles, et trop de choses me sautaient à la figure avec cette damnée nostalgie!
Le Lion Bleuflorophage
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drÖne
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Message par drÖne »

C'est vrai que j'ai été très surpris de lire sur leur site, quand on l'a regardé ensemble, leur triple casquette d'intellectuels-ouvriers-politiques. C'est pas banal ! Tiens, je glisse le lien, au passage : http://www.mahaleo.com/

Autre sujet d'intérêt à leur propos : la musique qu'ils font n'a rien de violent ni d'extrême, et cependant c'est visiblement des gens très engagés politiquement, qui ont même participé à la révolution dans leur pays (en 1972, à Madagascar, c'est indiqué sur leur site). Ca me fait penser à ce qu'on dit de la techno des free anglaise (les connaisseurs me contrediront si je me gourre) : les gens les plus engagés à l'époque (Spiral Tribe) ne faisaient pas particulièrement une musique violente. Il semble, en revanche, que le son hard core français ne soit pas spécialement une marque d'engagement politique. Et d'abord, qu'est-ce que l'engagement ? Hurler "anarchy" dans un micro, comme les Pistols ou mixer des samples de discours de Sarkozy, jusqu'à la nausée, pour dénoncer le système ? Ou bien avoir cette triple activité de paysan - sociologue - homme politique ? Peut-on produire une musique "engagée" en l'absence de texte ? Qu'est-ce qu'une identité d'intellectuel ? De paysan ? De politique ? Je trouve que ce groupe malgache a le mérite de brouiller des frontières souvent un peu vite établies, dans certaines discussions récentes qu'on a eu ici ou ailleurs, entre ces statuts et professions que l'on peut parfaitement combiner soit en même temps, soit au cours d'une vie. Ceux qui critiquent l'intellectualisme devraient méditer un peu cette question de l'identité, des identités et des parcours, avant de foncer tête baissée dans les stéréotypes et les dichotomies un peu faciles.

+A+
drÖne
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LLB
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Message par LLB »

J'étais àMadagascar en 1972, on y est restés le plus longtemps possible après la "révolution" qui a amené Rastiraka au pouvoir. Moi j'ai bien aimé cette période parce que je bénéficiai de la totale insouciance enfantine, et qu'il n'y avait plus d'école.
Affreuse déception pour les malgaches, et ce que raconte Mahaleo, c'est aussi la déception permanente, renouvelée, toujours et encore, car Madagascar n'a cessé de s'enfoncer dans la nuit depuis cette fameuse révolution.
La déception est si profonde, tellement incorporée qu'on ne comprend pas comment on peut ne pas être cynique et pourtant, aucune trace de cynisme chez Mahaleo, c'est pourquoi peut-être ils sont immensément plus respectés et écoutés et aimés que les leaders politiques. En fait je crois qu'ils sont sauvés du cynisme par quelque chose de simple : l'expression permanente du fait que ce qui est le plus important, ce sont les relations entre les gens, l'amour bien sûr, rien de très neuf certes.
Mais je me demande si cette certitude, fondamentale éprouvée mille et mille fois individuellement, n'est pas menacée de ne plus pouvoir être partagée culturellement et politiquement, d'où ce désespoir crépusculaire qui nous ronge, car si elle ne peut plus être partagée, alors je ne vois pas ce qu'on peut défendre au juste, finalement.
Tout le discours politique et maintenant presque tout le discours culturel, est si cynique, si inhibé, qu'on ne peut s'empêcher de se demander ce qui est refoulé avec tant de force. Il y a eu des sociologues pourtant, comme Simmel, qui voyaient dans les sentiments dits psycho-sociaux, notamment la confiance, le fondement même des liens sociaux : aucune trace de cela dans notre tradition sociologique rien de rien, du coup toute la vision de la société se construit sur un autre imaginaire, celui des équilibres, des intérêts, etc. C'est peut-être ça qui est reproché implicitement aux intellectuels : manier le savoir pour contourner à ce point ce qui est le fondement de toute aspiration à la vie en commun. Je pense que chez Mahaleo, encore une fois, la combinaison, sociologue-chanteur-député, n'est pas une combinaison de compétences, d'investissements, négociés dans différents espaces. C'est une cohérence dans l'expression d'aspirations, politiques, culturelles, et sentimentales, expression publique et décomplexée absolument, dans laquelle se reconnaissent tant de malgaches, paysans, lettrés, ruraux, ciradins, vraiment toutes catégories confondues. Mais c'est aussi à cause de ça qu'on peut soupçonner une projection de ma part, car depuis 72, ce sont pratiquement les seuls à être vraiment connus au-delà des frontières, à part Rossy et Fénoamby : ce n'est pas la musique malgache non plus.
Le Lion Bleuflorophage
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LLB
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Message par LLB »

Chance, il y a un documentaire qui passe en salle sur Mahaleo, et notamment à Lyon : Dröne, on y va!
Le Lion Bleuflorophage
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drÖne
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Message par drÖne »

LLB a écrit :Chance, il y a un documentaire qui passe en salle sur Mahaleo, et notamment à Lyon : Dröne, on y va!
Ouaip ! Avec plaisir. J'en profite pour te remercier de lancer ces discussions qui sortent du cadre de la techno, car si j'ai créé Room 101 à l'origine, c'est justement pour fuir les forums mono-thématiques que je fréquentais à l'époque sur usenet et pour créer un espace de discussion et de réflexion ouvert. Et de plus, ouvert à différentes manières de discuter et de réfléchir sur la musique : pas seulement en termes esthétiques, mais également en termes socio-politiques.

J'en profite pour rediriger cette discussion vers "musique, culture et société" car elle y sera plus à sa place que sur bla-bla.

+A+
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